Pourquoi les ratios de liquidité sont importants en situation d'instabilité financière ?
BNP Paribas et Société Générale : des perspectives différentes
Ces dernières semaines nous avons lu des avis divers autour des récentes faillites bancaires. Quatorze ans après celle de Lehman Brothers, dix ans après le vote du paquet législatif européen CRD/CRR, 9 ans après l’acte délégué faisant rentrer en vigueur le LCR (Liquidity Coverage Ratio) dans sa version européenne, certains encensent le dispositif bâlois transposé fidèlement par l’UE à l’ensemble des banques sous la tutelle de la BCE et pointent du doigt les USA qui en ont boudé certaines composantes et surtout en ont exempté les banques « moyennes » de leur juridiction.
D'autres critiquent le LCR, le considérant arrivé en bout de course ! Est-ce trop sévère ? Les grandes banques françaises sont-elles à l’abri d'une crise ? En cette saison de publications des rapports annuels, je vous propose également un petit tour d’horizon des ratios publiés à fin 2022.
Le LCR…pas si mal !
Le LCR a été conçu « grâce » à la crise financière de 2008, c’est un ratio complexe mais qui a le mérite d’être devenu un standard pour comparer le niveau de risque des banques et il leur permet de piloter le risque de liquidité avec prudence en « business as usual » même si le ratio a été défini avec des hypothèses de stress. La grande majorité de ses paramètres est en effet issue des observations des phénomènes qui ont sévi durant la crise et intègre un niveau de sévérité élevé avec pour objectif de simuler une grave crise subite d’une durée de 30 jours. Faut-il rappeler que l’ancien ratio en vigueur jusqu’alors en France, le coefficient de liquidité standard, intégrait, en tant que liquidités disponibles dans son calcul, les titres non éligibles en banque centrale, les titres éligibles mais mobilisés (et donc non mobilisables immédiatement pour du refinancement) et qu’aucun flux supplémentaire relatif aux dépôts de collatéraux (appels de marge, clauses contractuelles relatives aux dégradations de rating…) n’était pris en compte !
« Les nouvelles technologies favorisent les bank runs » a dit l'économiste Joseph Stiglitz. Il est vrai que face au bank run qui a précipité la chute de SVB, on peut se poser des questions sur le calibrage des paramètres qui permettent de matérialiser la fuite des dépôts dans le LCR. Est-il assez prudent ? Dire que les taux de sortie qui s’appliquent aux dépôts de la clientèle pour le calcul du ratio est insuffisant, ce serait oublier :
- Pour le retail, les paragraphes 2 et 3 de l’article 25 de l’acte délégué du LCR, les fameux « Higher Retail Outflows », qui selon les évaluations des banques peuvent atteindre un taux de sortie de 20% sur la période des 30 jours, horizon du ratio !

Certaines caractéristiques des dépôts du retail, lorsqu’elles sont combinées, peuvent en effet remettre en cause la stabilité de ces dépôts. C’est ce que l’on cherche à évaluer en combinant les caractéristiques suivantes telles que définies par le CRR :

Certes la notion de « compte exclusivement en ligne » pourrait faire l’objet d’une clarification et d’autres caractéristiques pourraient être ajoutées au bloc 2 comme les montants de dépôts entre 100 000€ (plafond FGDR, Fonds de Garantie des Dépôts et de Résolution) et 500 000€ et tout autre critère considéré par la banque comme représentant un risque élevé de sortie (identifiées dans les orientations du 6/12/2013 mais non reprises dans l’acte délégué du LCR). Quant au taux de sortie de 5%, pour l’appliquer il faut pouvoir démontrer, non seulement que l’encours des dépôts en question se limite pour chaque client au montant prévu par le FGDR (en France, sinon équivalent) mais aussi que ces dépôts s’inscrivent dans le cadre d'un compte « transactionnel » ou plus généralement d’une relation « établie » avec le client (compte actif, crédit immobilier, épargne…) garantissant un niveau de fidélité élevé du client.
- Pour les entreprises, ce taux de sortie "favorable" de 5% s’applique de manière relativement marginale car, comme pour le retail, les montants de dépôts en bénéficiant doivent être à la fois couverts par le FGDR et « opérationnels » (utilisation des services bancaires tels que contrat de cash management, conservation de titre ou autres services démontrant d’une relation clientèle solide). En plus de cela les excédents de dépôts opérationnels (soit les montants au-delà des niveaux de dépôts identifiés comme étant nécessaires aux entreprises pour leur fonctionnement opérationnel) doivent être exclus de ce traitement privilégié. Par exemple, lorsque l'on recalcule le taux de sortie des dépôts opérationnels des entreprises pour BNP Paribas (dans le pilier 3, tableau LIQ 1 du LCR), ce dernier est de l'ordre de 25% en moyenne.
Le LCR…a ses limites
Après 10 ans, des paramètres pourraient être revus
Si la classification des dépôts clientèle nécessaire au calcul du LCR (et du NSFR) s’est avérée être initialement un exercice difficile à mettre en place et impliquant les outils informatiques des métiers (il fallait notamment distinguer la partie garantie versus non garantie, les dépôts transactionnels ou avec une relation établie pour le retail, identifier les entreprises de petite taille pour les intégrer au retail, les dépôts opérationnels et leurs excédents de cash pour les entreprises, etc.), la partie « HRO » reste un exercice encore complexe et qui mériterait une mise à jour par la BCE pour s'adapter aux nouveaux comportements, de plus en plus interconnectés et financiers de la clientèle. De plus il est incertain que les banques évaluent ces HRO avec un même niveau de sévérité : c'est un point que le régulateur devrait évaluer dans le cadre de la revue SREP (Supervisory Review and Evaluation Process - pilier 2).
Un risque de taux qui doit être pris en compte
Nous voyons aussi les effets néfastes liés à l'organisation autour de la gestion des risques structurels : le risque de liquidité d'un côté, le risque de taux du portefeuille bancaire de l'autre et les deux mondes ont du mal à communiquer. Pourtant le risque de hausse de taux qui devient avéré a des effets potentiellement destructeurs sur la liquidité : baisse de la valeur des titres HQLA à revenu fixe (pour rappel, le coefficient de liquidité standard ne considérait que la valeur comptable des titres ce qui constituait un autre point faible pour évaluer la liquidité des titres comptabilisés au coût amorti), volatilité des appels de marge sur les dérivés de taux, hausse des flux nets sortants d'intérêt à taux révisable... Il est donc vital d'intégrer les scenarii de chocs de taux dans les projections futures des ratios de liquidité.
Un horizon trop court
Oui effectivement, l'horizon du ratio a été calibré sur 30 jours calendaires, correspondant au délai estimé pour une intervention d'urgence des banques centrales et des gouvernements centraux. Les stress tests de liquidité ont justement été mis en place pour palier à ce délai "trop court" et pour permettre à la BCE d'évaluer, dans le cadre de la revue SREP, la période de survie de chaque banque en cas de crise d'une durée au-delà de 30 jours. La question est de savoir combien de temps la réserve de liquidité disponible permet de couvrir les flux nets sortants qui se cumulent dans le temps. Les banques ont toutes mis en place leurs propres stress tests. La BCE a également conduit un exercice de stress tests de liquidité, en 2019, mais en se limitant à des hypothèses de chocs idiosyncratiques (charge aux banques d'intégrer un choc systémique dans leurs stress tests internes). Cependant les taux de sorties cumulées des dépôts à vue du retail s'élevaient tout de même, pour le stress extrême de la BCE, à plus de 18% au bout de six mois pour les dépôts stables et à plus de 42% pour les autres dépôts retail.
Le LCR complété par le NSFR, ratio structurel
Avec le NSFR (Net Stable Funding Ratio) c'est la mesure de la résilience qui s'ajoute à celle de la résistance du LCR et des stress tests de liquidité. En effet le NSFR, en prenant en compte cette fois l'intégralité du bilan et des engagements donnés, a pour objectif de garantir que les banques disposent de suffisamment de ressources dites “stables” pour financer ses actifs à moyen/long-terme. Bref grâce à ce ratio on arrête de financer au-delà du raisonnable ses emplois longs par des ressources de marché à court terme. Pour aider les banques à bien se préparer à ce ratio, la BCE avait même renouvelé en 2019 les TLTRO (ces opérations de financement non conventionnelles de long terme). Le NSFR est finalement entré en vigueur en juin 2021, soit deux ans après le vote du nouveau paquet bancaire CRD4/CRR2. Nous voyons aujourd'hui dans les piliers 3 des grandes banques l'effet de la fin du TLTRO sur le ratio (cf. tableau ci-après), les dernières opérations mises en place ayant une durée résiduelle inférieure à 6 mois vu du 31/12/2022, elles ne peuvent donc plus être considérées comme du financement stable disponible dans le ratio.
Alors un bon ratio ?
Oui ! le LCR est bien sûr un bon ratio si toutes ses composantes sont mesurées avec précision et prudence. Mais c'est surtout un bon ratio lorsqu'il s'inscrit dans un dispositif global, le fameux ILAAP (Internal Liquidity Adequacy Assessment Process). LCR, NSFR, réserve de liquidité, indicateurs de financement de gros ("wholesale funding"), liquidité intraday, indicateurs d'alerte, stress tests internes de liquidité, projections des métriques clés et définition de limites et seuils d'alerte sont a minima requis pour contrôler et piloter le risque de liquidité avec un niveau de prudence adéquat.
Dans le cas de SVB le bank run ne s'est pas produit par hasard : un tel dispositif d'encadrement du risque était inexistant. Une trop grande concentration de son refinancement sur le court terme au détriment du long terme, cumulée à une activité de financement de capital-risque, a précipité la matérialisation du risque : un besoin de liquidité subi qui a obligé la banque à liquider une partie de sa réserve de titres disponibles, constituée d'obligations émises par les Etats-Unis dont la valeur avait justement chuté mécaniquement avec la hausse des taux tout au long de 2022. Et pour couronner le tout les clients de SVB étaient la catégorie la plus connectée qui soit : l'écosystème des start-ups IT.
Société Générale mieux que BNP Paribas ?
On peut visualiser ci-dessous les principales métriques comparables des grands groupes bancaires français*. Les variations par rapport à 2021 sont indiquées entre parenthèses. La tendance générale est à la dégradation de l'ensemble des indicateurs (hormis le niveau de mobilisation des actifs qui reste stable). Seule la Société Générale améliore ses ratios et explique avoir profité de conditions de marché favorable en fin d’année et ainsi "augmenté ses dépôts à terme sur le marché monétaire et anticipé une partie de son plan de financement 2023" pour anticiper la fin du TLTRO et, dans le contexte de hausse des taux, le transfert potentiel des dépôts de sa clientèle entreprises vers des supports monétaires rémunérateurs. Le Crédit Agricole publie en toute transparence son ratio de mobilisation au 31/12/2022 (et pas seulement les valeurs médianes, peu interprétables et réconciables) ainsi que ses objectifs minimum de période de survie de stress tests. Hors Société Générale, les LCR se dégradent sous l'effet de réserves HQLA disponibles stables ou en baisse et de sorties de trésorerie en hausse sur les financements wholesale. Et les NSFR se dégradent aussi (toujours hors Société Générale) sous l'effet de la fin des TLTRO et dans certains cas de réductions significatives des financements de marché à moyen et long termes. On a ainsi l'impression, par exemple pour BNP Paribas, que l'on anticipe le ralentissement de l'économie réelle sur 2023 ou que l'on attend de voir...
*L'Alliance Fédérale Crédit Mutuel n'a pas encore publié au moment où j'écris cet article...

Noëlle Merckling, 31 mars 2023.
Depuis 5 ans, j’accompagne les banques et sociétés de financement de toutes tailles dans la mise en place de leurs modèles de mesure de liquidité et de taux, dans la revue et l’adaptation de leurs procédures, la formation des équipes et le pilotage de la production des rapports internes et réglementaires.